L. Marti: L'invention de l'horloger

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Titel
L'invention de l'horloger. De l'histoire au mythe de Daniel JeanRichard.


Autor(en)
Marti, Laurence
Erschienen
Lausanne 2003: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
141 S.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
François Jequier

Les relations ambivalentes entre l’histoire et la mémoire ou plus précisément la lente construction d’une mémoire collective, régionale d’abord, puis nationale, sont au coeur de la démarche originale de Laurence Marti, aussi à l’aise dans les domaines de la sociologie que dans l’histoire industrielle du Jura, co-fondatrice et présidente du Centre jurassien d’archives et de recherches économiques (CEJARE) à Saint-Imier.

Daniel JeanRichard (1665-1741), ce père légendaire de l’horlogerie suisse s’impose comme un exemple d’anthologie de la mythologie industrielle neuchâteloise : des rues portent son nom, des statues à son effigie se dressent sur des places au Locle et à La Chaux-de-Fonds, ses portraits et d’innombrables textes ont nourri, construit et légitimé ce culte enraciné dans les terres arides des Montagnes neuchâteloises. Partant du texte fondateur du banneret Frédéric Samuel Osterwald (1713-1795) intitulé Description des Montagnes et des Vallées qui font partie de la Principauté de Neuchâtel et de Valangin, Laurence Marti construit son corpus en examinant de près une soixantaine de textes et l’iconographie consacrés à ce « héros industriel malgré lui », avant de mettre en exergue avec une rigueur remarquable, la fabrication des images de ce personnage au fil des siècles, en soulignant leur utilisation et leur mise en perspective au gré des besoins et des préoccupations socio-économiques, et parfois politiques, de chaque époque envisagée. Chacune de ses analyses est inscrite dans son contexte, ce qui permet d’en mieux saisir les particularités. La première phase de ce « mythe-histoire » couvre la fin du xviiie et le début du xixe siècles et « marque l’émergence de la figure de Daniel JeanRichard avec les premières publications écrites du récit. La seconde période, de 1830 jusqu’au tournant du xixe siècle, correspond à l’avènement du héros, comme symbole social des Montagnes. Le point culminant étant constitué, en 1888, par la fête d’inauguration de la statue de JeanRichard. Dès le début du xxe siècle et jusqu’aux années 60, un processus de remise en question du contenu et du sens du récit est lancé par les historiens. Ce qui conduit non pas à son abandon, mais à un nouveau développement, à une sorte de seconde vie, dont l’apogée réside dans la fête du bicentenaire de la mort de JeanRichard en 1941, puis dans la parution du premier livre consacré intégralement à JeanRichard en 1956. Enfin, la dernière période, la nôtre, débute avec les années 70 et a connu pour l’instant un moment fort dans les années 90 avec la célébration de la mort du héros. »

A travers ces deux siècles et demi d’évocation, Daniel JeanRichard va jouer plusieurs rôles qui vont s’inscrire successivement dans l’évolution de cette mémoire collective à géométrie variable. A l’artiste inventif, capable de réparer, puis de produire une montre en diffusant ses connaissances autour de lui, succède l’horloger, puis le fabricant et enfin le commercial dans le dernier tiers du xxe siècle. Chacune de ces étapes permet à Laurence Marti de retracer avec finesse et précision toute l’histoire de l’industrie horlogère, du paysan horloger du xviie siècle aux concentrations et autres holdings qui structurent la fabrication des montres de nos jours. La succession des générations reste la référence temporelle par excellence, que l’on retrouve encore ponctuellement chez les Hayek, Rolex et Patek.

Les récits sacralisant Daniel JeanRichard sont réactivés au fur et à mesure des mutations du paysage industriel qu’il aurait inventé, ils affirment aussi l’existence de la force et de l’originalité des Montagnes neuchâteloises où tout conflit est gommé par les différents auteurs qui ont toujours manifesté un souci de réunification, d’intégration, de consensus proches des pratiques sociales en cours. Au fil de ses sources, Laurence Marti montre que « les représentations du temps, les méthodes et les manières d’écrire se modifient au gré de la science historique...et que la mémoire collective ne cesse de se renouveler en intégrant le changement pour rester vivante, ce qui l’oblige à être en phase avec des pratiques qu’elle légitime et auxquelles elle donne sens. »

Un beau livre plein de surprises, truffé d’hypothèses subtiles, qui tient le lecteur en haleine, excite sa curiosité par l’intelligence de ses démonstrations (déconstructions ?) tirées de ces lectures croisées de textes, si bien insérées dans leur contexte de production tant littéraire qu’industrielle, et qui, enfin, est représentatif des « multiples manières dont une société dit ou écrit son histoire ».

Citation:
François Jequier: compte rendu de: Laurence Marti, L'invention de l'horloger. De l'histoire au mythe de Daniel JeanRichard, Lausanne, Editions Antipodes et Société d'histoire de la Suisse romande, 2003, 141 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 114, 2006, p.359-360.

Redaktion
Veröffentlicht am
26.05.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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